Mais le nouveau programme des « Rencontres au CNL » me laisse pantois. Ce mois-ci, l’établissement reçoit Olivier Poivre-d’Arvor (animation : Philippe Onot-dit-Biot), Gilles Paris (animé par Josyane Savigneau) et Gilles Kepel (Alexis Lacroix).
Je me souviens d’avoir animé rue de Verneuil un hommage à Roger Laporte auquel participait, entre autres, le regretté Philippe Lacoue-Labarthe. Je me souviens de rencontres qui avaient quand même plus de tenue intellectuelle qu’un Gilles Paris (allez visiter son site internet, vous comprendrez) ou un OPDA. À propos de ce dernier, je me souviens d’avoir participé à l’écriture d’un livre autour de la littérature contemporaine dont je ne tiens pas à faire la promotion. C’était le ministère des Affaires étrangères, par le biais de l’association pour la diffusion de la pensée française (ou son équivalent) qui m’avait chargé, avec deux universitaires de réaliser cet opus sur dix ans de production littéraire hexagonale. On s’était mis à la tâche, réuni pour définir nos axes et éviter les doublons, faire que la chose ait du sens. L’institution a été transformée en CulturesFrance dirigée par… Olivier Poivre-d’Arvor avant qu’il ne prenne la direction de … France Culture. OPDA avait alors fait savoir que, peut-être, nos choix d’écrivains sur lesquels porterait notre attention manquaient passablement « d’écrivains populaires ». Tel lui-même ?
On n’a pas fait grand cas de cette observation et les trois rédacteurs que nous étions ont, chacun de son côté, écrit sur Novarina, Prigent, Ernaux, Serena, Michon, etc. Or, notre surprise fut grande lorsque parut l’ouvrage en question dont vous comprendrez que je taise le titre afin qu’il reste oublié. Deux nouveaux rédacteurs avaient apporté leur contribution sans que nous en ayons été informés. L’un consacrait sa partie à « la littérature francophone » qui bien souvent à Paris signifie « littérature écrite en français par des non Français » voire « littérature écrite en français par de braves Africains reconnaissant de la colonisation positive dont ils sont issus ». Mettre d’un côté ceux qui écrivent en français natifs de France et ceux qui écrivent en français natifs d’ailleurs est une pratique pour le moins ambiguë, mais fréquente.
L’autre contribution rajoutée en secret est plus parlante : une journaliste du mensuel Lire et de L’Express avait été chargée de faire un chapitre sur les écrivains populaires. Ainsi, trouvait-on dans l’opus ci-dessus pas cité des auteurs aussi considérables que Max Gallo, Christian Jacq, Jean d’Ormesson, Romain Sardou… Reconnaissons à notre consœur qu’elle n’a pas cherché à ce que ses lecteurs prennent des vessies pour des lanternes et qu’en s’interrogeant sur ce qu’est la littérature populaire, elle désigne assez finement que sa place n’est peut-être pas dans un ouvrage financé par un établissement public dont l’ambition initiale est de défendre « la pensée ».
La programmation actuelle du CNL a de quoi inquiéter. Je n’ai pas lu les ouvrages d’OPDA ou de Gilles Paris, mais la question n’est pas liée à la qualité des intervenants mais, plutôt, à l’intérêt qu’il y aurait pour un établissement public de financer la promotion d’auteurs qui visent systématiquement le top des meilleures ventes. Si l’argent public va renforcer l’action du marché, que restera-t-il aux œuvres que le marché ignore ? Rien.
Et l’on se demande forcément, à quelques mois de la présidentielle, si ce genre de programmation n’est pas l’expression d’une oligarchie aux abois : invitons-nous les uns les autres tant que cela est encore possible. On ne doute pas qu’il s’agisse bien de la toujours pathétique oligarchie des livres. Hélas, on doute qu’elle soit aux abois.
À vous lire…