11/01/2012

La pathétique oligarchie des Lettres

Le CNL (Centre National du Livre) est un outil très précieux pour la défense de la littérature. Depuis qu’il existe, cet établissement public, dépendant du ministère de la Culture et de la Communication, a aidé bon nombre d’écrivains, d’éditeurs, de revues et de manifestations littéraires. Pour avoir siégé durant 4 puis 3 ans à la commission roman, je n’avais pas beaucoup de réserves à émettre sur son fonctionnement. Il y avait bien sûr des imperfections, mais du moins l’institution fonctionnait-elle du mieux qu’elle le pouvait (il faut voir la masse de demandes d’aides qui arrivent rue de Verneuil). Pourquoi en parler au passé ? Le CNL fonctionne toujours et d’ailleurs il apporte un soutien considérable en ces temps difficiles au Matricule des Anges.

Mais le nouveau programme des « Rencontres au CNL » me laisse pantois. Ce mois-ci, l’établissement reçoit Olivier Poivre-d’Arvor (animation : Philippe Onot-dit-Biot), Gilles Paris (animé par Josyane Savigneau) et Gilles Kepel (Alexis Lacroix).

Je me souviens d’avoir animé rue de Verneuil un hommage à Roger Laporte auquel participait, entre autres, le regretté Philippe Lacoue-Labarthe. Je me souviens de rencontres qui avaient quand même plus de tenue intellectuelle qu’un Gilles Paris (allez visiter son site internet, vous comprendrez) ou un OPDA. À propos de ce dernier, je me souviens d’avoir participé à l’écriture d’un livre autour de la littérature contemporaine dont je ne tiens pas à faire la promotion. C’était le ministère des Affaires étrangères, par le biais de l’association pour la diffusion de la pensée française (ou son équivalent) qui m’avait chargé, avec deux universitaires de réaliser cet opus sur dix ans de production littéraire hexagonale. On s’était mis à la tâche, réuni pour définir nos axes et éviter les doublons, faire que la chose ait du sens. L’institution a été transformée en CulturesFrance dirigée par… Olivier Poivre-d’Arvor avant qu’il ne prenne la direction de … France Culture. OPDA avait alors fait savoir que, peut-être, nos choix d’écrivains sur lesquels porterait notre attention manquaient passablement « d’écrivains populaires ». Tel lui-même ?

On n’a pas fait grand cas de cette observation et les trois rédacteurs que nous étions ont, chacun de son côté, écrit sur Novarina, Prigent, Ernaux, Serena, Michon, etc. Or, notre surprise fut grande lorsque parut l’ouvrage en question dont vous comprendrez que je taise le titre afin qu’il reste oublié. Deux nouveaux rédacteurs avaient apporté leur contribution sans que nous en ayons été informés. L’un consacrait sa partie à « la littérature francophone » qui bien souvent à Paris signifie « littérature écrite en français par des non Français » voire « littérature écrite en français par de braves Africains reconnaissant de la colonisation positive dont ils sont issus ». Mettre d’un côté ceux qui écrivent en français natifs de France et ceux qui écrivent en français natifs d’ailleurs est une pratique pour le moins ambiguë, mais fréquente.

L’autre contribution rajoutée en secret est plus parlante : une journaliste du mensuel Lire et de L’Express avait été chargée de faire un chapitre sur les écrivains populaires. Ainsi, trouvait-on dans l’opus ci-dessus pas cité des auteurs aussi considérables que Max Gallo, Christian Jacq, Jean d’Ormesson, Romain Sardou… Reconnaissons à notre consœur qu’elle n’a pas cherché à ce que ses lecteurs prennent des vessies pour des lanternes et qu’en s’interrogeant sur ce qu’est la littérature populaire, elle désigne assez finement que sa place n’est peut-être pas dans un ouvrage financé par un établissement public dont l’ambition initiale est de défendre « la pensée ».

La programmation actuelle du CNL a de quoi inquiéter. Je n’ai pas lu les ouvrages d’OPDA ou de Gilles Paris, mais la question n’est pas liée à la qualité des intervenants mais, plutôt, à l’intérêt qu’il y aurait pour un établissement public de financer la promotion d’auteurs qui visent systématiquement le top des meilleures ventes. Si l’argent public va renforcer l’action du marché, que restera-t-il aux œuvres que le marché ignore ? Rien.

Et l’on se demande forcément, à quelques mois de la présidentielle, si ce genre de programmation n’est pas l’expression d’une oligarchie aux abois : invitons-nous les uns les autres tant que cela est encore possible. On ne doute pas qu’il s’agisse bien de la toujours pathétique oligarchie des livres. Hélas, on doute qu’elle soit aux abois.

À vous lire…

10/01/2012

Vendre la peur

C'est un très gros 30% qui orne la Une de Libération dans son édition d'hier lundi. Avec ce titre :
"30% n'exclueraient pas de voter Le Pen".
Ce titre (bancal quant à la langue : 30% de quoi?), à lui seul, illustre les plaies dont souffre le journalisme actuel. D'une part, ce n'est pas un événement qui fait l'actualité, mais un sondage. Précisons que les sondages se commandent et s'achètent et qu'il convient donc de les rentabiliser. Si vous payez un sondage que vous ne médiatisez pas, c'est que vous êtes Président de la République, Premier ministre ou responsable politique.
Regardons de plus près ce fameux sondage et observons qu'en réalité, sur ces 30% de votants potentiels pour le FN, 12% déclarent qu'ils ne voteront
"probablement pas pour Le Pen".
Le "probablement" est important. Il signifierait, selon Libé, que du coup, ce n'est pas sûr et que donc, tour de passe-passe, ces 12% là sont à ranger parmi ceux qui "n'exclueraient pas de voter Le Pen". Sans ces 12%, le socre serait comme il est peu ou prou indiqué dans tous les sondages de 18%. Et payer un sondage pour apprendre ce qu'on sait déjà : pas terrible.
L'autre plaie, c'est qu'un journal aujourd'hui cherche d'abord à vendre plutôt qu'à informer. "18% des votants n'excluent pas de le faire pour Le Pen" n'est pas un titre vendeur (mais plus juste et plus respectueux syntaxiquement). 30%, ça a plus de gueule. Quitte à jouer un peu sur la réalité…
Enfin, l'esprit conservateur de la presse dans sa majorité impose que les Français votent soit pour Sarkozy, soit pour Hollande. Un éparpillement des voix serait un mauvais coup porté aux échanges commerciaux (l'inquiétude, l'incertitude quant à l'avenir, le changement, le flou : autant de facteurs anxiogènes capables de freiner la consommation, donc la pub dont les journaux se nourrissent - 50 à 55% des ressources de la presse quotidienne nationale). D'où le désir de jouer sur la peur d'un second tour dans lequel se retrouverait Marine Le Pen. D'où la volonté d'installer dans l'esprit des lecteurs la nécessité du vote utile dès le premier tour. Et hop ! en passant de 18 à 30% on fait d'une pierre trois coups : on fait un gros titre, on vend du papier, on incite à voter utile.
Mais la première conséquence de ce genre de pratiques journalistiques, c'est que, précisément, les lecteurs se détournent de la presse traditionnelle qui les prend quand même un peu pour des cons. Ce qu'ils ne sont pas.
À vous lire…

08/01/2012

L'actualité passée au fer à lisser

On pourrait inaugurer ce blog par un concours auquel il n'y aurait à gagner que le plaisir d'y avoir participé. Le jeu pourrait s'appeler "la question la plus conne de Laurent Delahousse" (avec des variantes : "… de Claire Chacal", "… de Laurence Citroën" etc.)
C'est un jeu que je pratique en famille, le week-end, histoire de rejeter le poids de l'accablement dès qu'apparaît à l'écran la plus belle coiffure de tous les JT (chose que Jamel Debbouze a su faire entendre). Laurent Delahousse est un journaliste qui aime les people. Pas un JT de Delahousse sans people (souvent des comédiens). Et là, un ravissement pour le télespectateur avide de savoirs culturels. Ainsi Delahousse recevant le grand Martin Scorsese n'a-t-il pas hésité à poser une question d'une implacable pertinence :
"Martin Scorcese (ici la voix joue sur le velour de la complicité et de l'intime), quand vous venez à Paris, allez-vous manger dans les restaurants français ou bien dans les restaurants italiens?"
On aurait aimé, puique Scorcese est un réalisateur, que les questions de notre tête à coiffer nationale portassent sur les difficultés d'une production cinématographique, sur l'évolution du cinéaste depuis Taxi Driver jusqu'à Hugo Cabret sur la construction narrative de son dernier film…
Hier, il recevait Clovis Cornillac et Mathilde Seignier pour la promotion de leur nouveau film et voici :
"être des acteurs populaires, c'est bien?"
On aurait aimé que la réponse fut : "non Ducon, mieux vaut être des comédiens au chômage." Mais promo oblige, les invités ont été polis (surpris aussi, certes).
Dans ce même 20H, un long reportage nous montrait les premiers pas de Chelsea Clinton (dans la famille de l'ex-président, je demande la fille) en tant que journaliste : on voyait Chelsea enfant, on la voyait tenir la main de papa et maman, on la voyait faire son premier plateau tv. Une information capitale. Delahousse, c'est un peu le Marchand de sable d'aujourd'hui : "dormez les enfants"… de 7 à 77 ans.
On peut rire de ce journalisme à paillettes, mais si le JT est une fenêtre ouverte sur le monde, ça donne envie de refermer les volets et de rester chez soi. Un désir de repli qui ne cesse de s'exprimer politiquement. Et la culture envisagée seulement sous l'angle du divertissement est une autre façon de fermer la porte à un peu d'air.
La civilisation qui naît de ce décervelage organisé me fait penser au dernier livre traduit en français d'Alan Warner : Les Étoiles dans le ciel radieux (Christian Bourgois, 2011). On y voit un petit groupe de filles délurées et écossaises (sauf une) sur le départ pour quelques jours de vacances. Elles sont à l'aéroport de Gatwick et vont y passer trois jours à la suite de la perte, provisoire, d'un passeport. Ce sont les mêmes héroïnes que dans un de ses romans précédents, Les Sopranos (Jacqueline Chambon, 2000) : nourries de fast food et de bières tièdes (Guiness extra Gold), rêvant de devenir des stars de la téléréalité. Cette génération d'une abyssale vacuité n'est-elle pas le fruit (entre autre chose) de cette télévision abyssalement niaise? Poser la question, c'est déjà y répondre. Et citer Warner, c'est vous inviter à le lire plutôt qu'à sombrer dans l'hypnose par capillarité devant votre JT.
À vous lire…